Guyane : bienvenue à Papaichton, l’une des brigades les plus isolées de France

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 20 juin 2024
Patrouille en véhicule dans Papaichton.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Au cœur de l’Amérique du Sud, se trouve la commune de Papaichton. Encadrée par la forêt amazonienne et le fleuve Maroni, cette localité du bout du monde dispose d’une brigade armée par quatre gendarmes départementaux permanents. Immersion dans leur quotidien peu ordinaire.

Après 31 kilomètres de piste sans réseau téléphonique, la forêt équatoriale se clairsème enfin pour laisser place à Papaichton. Située à l’ouest de la Guyane, sur les bords du fleuve Maroni, qui délimite la frontière avec le Suriname, cette commune est l’une des plus reculées de France. Pendant la saison des pluies, s’étendant de décembre à juin, l’isolement est d’autant plus marqué que la piste devient progressivement impraticable. Quasiment coupés du monde, ses 6 000 habitants ne se déplacent alors plus qu’en pirogue. Remarquable à plus d’un titre, cette commune est un lieu où coexistent plusieurs communautés. L’ethnie Bonis y est majoritaire. Leurs coutumes, traditions et dialectes colorent la vie locale.

Le gendarme Jonathan circulant en quad.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Alors que se dessinent les premières maisons, un vrombissement se fait entendre. Perché sur un quad de couleur rouge, surgit du carrefour un homme habillé d’un polo bleu facilement identifiable. Il s’agit du gendarme Jonathan. Arrivé de métropole à l’été 2023, avec femme et enfants, il est affecté à la brigade de Papaichton, aux côtés de quatre autres camarades. Deux d’entre eux sont Officiers de police judiciaire (OPJ). Les militaires de l’unité sont renforcés par deux gendarmes mobiles relevés tous les trois mois. Loin de tout, ils doivent faire preuve de pragmatisme et d’ingéniosité au quotidien.

Servir au cœur de l’Amazonie

La brigade de Papaichton est rattachée à la Communauté de brigades (CoB) de Maripasoula, qui est à la fois la plus grande commune de France en superficie et la plus petite en densité de population. À l’image des plus de 3 000 brigades situées en métropole et en outre-mer, les gendarmes de la brigade de Papaichton remplissent les missions dévolues à la gendarmerie départementale. Ils doivent néanmoins faire face à de nombreuses contraintes liées à l’environnement équatorial et aux coutumes locales.

La brigade de Papaichton.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

« Cette unité traite des infractions de droit commun comme n’importe quelle brigade de gendarmerie, souligne le capitaine Éric Simonet, commandant la CoB de Maripasoula. À ces missions s’ajoutent celles dédiées à la Lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI). Nous effectuons notamment des surveillances fluviales et des patrouilles en quad afin de dissuader l’action des garimpeiros (chercheurs d’or clandestins, NDLR). Mais au quotidien, tout diffère de la métropole. »

Les gendarmes de l’unité doivent notamment concilier droit commun et droit coutumier, ce dernier entrant parfois en contradiction avec la loi républicaine. En cas de découverte de cadavre, la coutume veut, par exemple, que le corps soit immédiatement inhumé. Les gendarmes sensibilisent les habitants aux contraintes médico-légales. « Nous sommes sensibles à leurs croyances, témoigne le capitaine Simonet. Lorsque nous souhaitons entendre une victime, nous en avertissons d’abord le chef coutumier, afin que la personne ne soit pas suspectée d’être mise en cause par ses pairs. Nous entretenons des échanges réguliers avec ces figures d’autorité qui sont capables d’influencer leurs communautés. »

Multipliant les services de contact, les gendarmes ont noué des liens forts avec la population. « Le rapport aux habitants est très facile, précise le gendarme Jonathan. Ils se montrent particulièrement respectueux de l’uniforme. Même les plus jeunes enfants me disent bonjour police lorsqu’ils me croisent sur le pas de la porte [rires]. Pour requérir notre intervention, ils n’ont pas le réflexe de contacter le 17, mais viennent directement frapper à la grille de la brigade (celle-ci ne dispose pas de borne d’appel, NDLR) ou de nos maisons. S’agissant d’une population plutôt paisible, les interventions ne sont pas particulièrement nombreuses. Néanmoins, les actes de violence induisent systématiquement l’utilisation d’armes, et notamment de sabres d’abattis, en raison de la culture sud-américaine de la Guyane. La prise de renseignement est également difficile en raison de la barrière de la langue et de la rétention d’information. »

En cas d’interpellation et de placement en garde à vue, la brigade ne dispose pas de cellule. Le mis en cause doit donc être transféré à Maripasoula. Si les conditions ne le permettent pas, en raison de la saison des pluies ou de l’heure avancée de la journée par exemple, la personne est surveillée dans une pièce toute la nuit par deux gendarmes. Comme l’explique l’officier, les déferrements s’avèrent encore plus complexes. « Le tribunal se situe à Cayenne. Lorsque le magistrat demande une présentation du mis en cause, nous devons requérir un hélicoptère et acheminer l’individu jusqu’à l’aéroport de Maripasoula afin qu’il soit pris en compte. Nous effectuons une trentaine de déferrements par an. »

Gendarmes naviguant sur une pirogue.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Une partie de la circonscription étant inaccessible par voie routière, les gendarmes recourent très fréquemment à la pirogue. Les unités situées le long des fleuves disposent d’ailleurs de piroguiers guyanais attitrés en compte dans leurs effectifs. Ces personnels sont d’une aide précieuse, tant pour naviguer sur les fleuves, qui présentent de nombreux dangers, que pour traduire les conversations entre les gendarmes et les habitants, qui ne maîtrisent pas toujours les rudiments de la langue française.

 

En direction du sud, des services de Police de sécurité du quotidien (PSQ) à pirogue sont d’ores et déjà mis en place à destination des villages les plus éloignés du territoire. Le projet devrait également se concrétiser vers le nord du fleuve, en direction de la commune de Grand Santi.

Militaires de la brigade de Papaichton arrêtés devant leur véhicule.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

« La Guyane, c’est la France, mais ça n’a rien à voir avec ce qu’on peut connaître en métropole, ajoute le gendarme Alexandre, de l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) 47/3 de Châteauroux. Cette mission à Papaichton constitue ma première mission outre-mer. Nous avons été totalement dépaysés, tant en raison de la culture, que des dialectes locaux et de la chaleur. Cette expérience s’est avérée très enrichissante et nous avons appris beaucoup de choses, notamment auprès du piroguier local. »

« Le propre du gendarme est de s’adapter. »

Afin de pouvoir remplir leurs missions, les gendarmes doivent entretenir rigoureusement leurs matériels, qui connaissent une usure prématurée en raison du climat équatorial. En cas de panne ou de casse, plusieurs mois peuvent s’écouler avant de pouvoir procéder à la réparation. Les pièces de rechange sont en effet livrées à Maripasoula par avion. Celles-ci doivent ensuite être acheminées par la piste ou en pirogue. Faute de professionnel sur place, les gendarmes effectuent eux-mêmes les remplacements. Les travaux les plus conséquents (changement d’une toiture par exemple) sont les seuls à être effectués par des entreprises. Celles-ci étant généralement basées à Cayenne, une à deux années peuvent être nécessaires avant leur réalisation.

Les besoins en formation nécessitent également une organisation singulière. En l’absence de stand de tir conventionné sur la circonscription, les personnels de la CoB de Maripasoula se déplacent annuellement à Saint-Laurent-du-Maroni, où se situe la compagnie de gendarmerie départementale. En raison des contraintes liées au trajet, qui s’effectue par voie aérienne, les gendarmes séjournent trois jours sur place. Des sessions de formation sur place, au cours desquelles des instructeurs de la compagnie viennent plusieurs jours, sont également organisées.

Comme le résume le commandant de la Cob de Maripasoula, « le propre du gendarme est de s’adapter. » Ce que les militaires de Papaichton parviennent également à faire dans leur vie quotidienne.

Vivre au cœur de l’Amazonie

L’isolement et les spécificités du territoire se font d’autant plus ressentir dans la vie de tous les jours. « Les affaires des gendarmes nouvellement affectés sont acheminées en pirogue, détaille l’officier. Ils viennent sans voiture, car il n’y a pas de pompe à essence. Les loisirs sont également différents de la métropole. La qualité de vie est extraordinaire, mais un temps d’adaptation est nécessaire. »

« À l’arrivée, c’est un peu la douche froide », concède l’adjudant Gaël, commandant la brigade de proximité de Papaichton. Souhaitant occuper un poste de commandement, ce dernier a accepté d’être affecté en unité isolée. « Concernant la nourriture, il faut apprendre à faire une croix sur beaucoup d’aliments. Les courses nécessitent également un peu d’organisation. En raison du coût très élevé de la vie à l’intérieur des terres, nous commandons nos vivres à Cayenne et ceux-ci sont ensuite livrés par liaison aérienne à la brigade de Maripasoula, qui nous les distribue. Les délais de livraison sont souvent très longs. En raison d’une faune et d’une flore extraordinaires et de nos missions quotidiennes, nous bénéficions néanmoins d’une qualité de vie remarquable. »

 

À l’image de la femme du gendarme Jonathan, les conjoints peuvent facilement trouver du travail en Guyane, même en l’absence de formation spécifique. Le territoire manque en effet de professeurs, d’employés de mairie ou d’agents du Parc amazonien de Guyane (PAG). « Chaque année, des gendarmes sont volontaires pour rejoindre la CoB de Maripasoula, se réjouit le capitaine Simonet. Des militaires affectés dans des unités du littoral demandent également fréquemment à nous rejoindre. Ils émettent le souhait de découvrir une Guyane plus authentique. »

Vue du fleuve depuis Papaichton.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

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