Compagnie de gendarmerie départementale de Poindimié : une résilience à toute épreuve

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 07 octobre 2024
La compagnie de gendarmerie départementale de Poindimié se situe sur la côte est, en province nord. Son territoire, peuplé par 20 000 habitants majoritairement indépendantistes, s’étend sur 350 kilomètres de côte et 40 kilomètres dans les terres.
© GEND/SIRPA/MDC B. LAPOINTE

En Nouvelle-Calédonie, le chef d’escadron Paul Sandevoir commande la compagnie de gendarmerie départementale de Poindimié. Située sur la côte est de la Grande Terre, au cœur d’un territoire indépendantiste, elle est composée de six brigades ayant été confrontées à des engagements particulièrement marquants au cours de la crise.

En 2018, alors qu’il commandait l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) 24/6 d’Antibes, le chef d’escadron Paul Sandevoir avait été engagé sur la circonscription de la compagnie de Poindimié. « À l’époque, je suis tombé amoureux de cette partie du territoire, explique-t-il. Au cours de l’année 2023, alors que je commandais la compagnie de Bagnères-de-Bigorre depuis deux ans, j’ai appris que la compagnie de Poindimié se libérait à l’été. Ma femme étant originaire de Nouvelle-Calédonie, nous avons décidé de faire une demande de mutation. J’ai été affecté en tant que commandant de la compagnie de Poindimié en août de la même année. »

Vue aérienne de la compagnie de gendarmerie départementale de Poindimié.
© GEND/SIRPA/MDC B. LAPOINTE

Une compagnie isolée

La compagnie se situe sur la côte est, en province nord. Son territoire, peuplé par 20 000 habitants majoritairement indépendantistes, s’étend sur 350 kilomètres de côte et 40 kilomètres dans les terres. Les différentes communes sont reliées par un seul axe, la Route territoriale 3 (RT3), le long de laquelle cohabitent pas moins de 117 tribus, réunies au sein de 17 districts (le monde kanak est organisé en familles, clans, tribus et districts, NLDR). Les 40 gendarmes servant au sein des six brigades de la compagnie sont en permanence renforcés par des gendarmes mobiles. Séparées de l’ouest par un massif montagneux appelé la Chaîne centrale, les unités sont ravitaillées, environ deux fois par mois, par un camion en provenance de Nouméa. En raison de leur isolement, le commandant de compagnie et ses militaires disposent d’une forte autonomie.

« Nous nous inscrivons dans les priorités opérationnelles du Commandement de la gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie (COMGEND-NC), mais nous les adaptons à nos contraintes, explique le chef d’escadron Sandevoir. Nos chefs sont conscients des spécificités locales et de notre isolement. La brigade la plus éloignée se situe à 2 h 30 de la compagnie. En conséquence, je passe beaucoup de temps sur la route. Ici, le commandant de compagnie doit accorder une grande confiance aux gendarmes et s’appuyer sur leur connaissance du terrain. Les problématiques sont très différentes de celles que nous pouvons connaître en métropole. La majeure partie du travail consiste à échanger avec la population, qui vit le plus souvent en communautés. Ces interactions nous aident à fluidifier notre action, même s’il est difficile d’avoir des relations avec les élus indépendantistes. Il nous faut également faire preuve de souplesse, dans la mesure où droit coutumier et droit commun s’entremêlent. L’activité opérationnelle n’est pas débordante, raison pour laquelle la compagnie ne dispose pas de Brigade de recherches (B.R.), ni de Peloton de surveillance et d’intervention (PSIG). Nous sommes néanmoins confrontés à des coups de chaud plusieurs fois dans l’année. À titre d’exemple, lorsqu’une tribu décide d’une expulsion coutumière, nous intervenons afin d’éviter qu’une même personne soit lynchée par soixante individus. » Dès le début de l’année 2024, des tensions sont progressivement apparues sur le territoire.

Le chef d’escadron Paul Sandevoir, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Poindimié.

Le chef d’escadron Paul Sandevoir, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Poindimié.

© GEND/SIRPA/MDC B. LAPOINTE

Des gendarmes confrontés à une crise de haute intensité

En début d’année, la fermeture d’une importante mine de nickel sur le secteur nord a créé un contexte économique difficile. Avec la question du dégel du corps électoral, le peuple kanak s’est replié sur lui-même. « Il n’y avait plus aucun contact avec les brigades, ce qui nous a conduits à penser qu’il allait se passer quelque chose, explique l’officier. À partir du 13 mai, les tensions ont éclaté à Nouméa. »

Dès cette date, les familles des gendarmes affectés dans les brigades les plus exposées ont été évacuées vers Nouméa. Les autres familles sont restées sur place et la décision de les évacuer a été prise le 3 juin, alors qu’une opération judiciaire sensible était menée. « Sur la côte est, la situation était plus calme, mais chaque district s’est mis à concevoir son mode d’action avec l’appui de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). Les axes ont progressivement été bloqués et certaines brigades ont été assiégées, à l’image de celles de Hienghène, Houaïlou ou Ponérihouen. Ailleurs, le dialogue a été maintenu malgré les tensions. Jusqu’à mi-juillet, les brigades sont restées isolées et les ravitaillements ont été opérés par hélicoptère. Les gendarmes mangeaient des rations de combat. Dans certaines brigades, l’eau et l’électricité ont été coupées plusieurs semaines. Les ponts aériens ont également permis d’acheminer des renforts. Nous avons obtenu le concours de gendarmes mobiles, voire du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Dès les premiers affrontements, nous avons recherché le renseignement afin de pouvoir prendre les décisions opérationnelles les plus pertinentes et de pouvoir commencer à judiciariser les faits, afin de déstructurer l’action adverse. La situation s’est calmée à partir de mi-août, en raison du déploiement d’escadrons de manœuvre qui sont parvenus à déblayer les axes et les barricades. Les militants sont rentrés dans un combat plus politique, la situation est en cours de normalisation. »

Le commandant de compagnie salue la détermination des gendarmes placés sous ses ordres. « Leur engagement a été absolument remarquable. Ils ont tenu le choc malgré l’isolement et la violence à laquelle ils ont été confrontés. Nous nous sommes mis dans des dispositions de combat. Les tentatives d’intrusion nous faisaient craindre des prises d’otages. On pensait juste à sauver nos vies. Je me souviens avoir donné des ordres que je n’aurais jamais pensé donner au cours de ma carrière. Nous avons été au bout de l’engagement tel qu’on l’entend au sens militaire. Nous pensions avoir des blessés ou des tués dans nos rangs, c’est un miracle de ne pas en avoir eu. Nous avons démontré que le modèle gendarmerie était éprouvé et qu’il tenait grâce à des hommes et des femmes capables de faire des choses extraordinaires dans un contexte particulièrement dégradé. Aujourd’hui, j’ai à cœur de rendre aux militaires la contrepartie de leur engagement. »

À partir de la mi-août, les familles des gendarmes ont pu revenir dans les secteurs les plus calmes de la compagnie. Mais à Hienghène, Houaïlou ou Ponérihouen, les familles ne sont jamais revenues. « Ma propre famille a été évacuée le 3 juin, se souvient le commandant de compagnie. Nous subissions des pressions depuis le 13 mai. Les sacs étaient faits afin d’être prêts à évacuer à tout moment. J’avais appris à ma femme à se servir de mon fusil de chasse et à ma fille de 8 ans à s’occuper de ses sœurs si papa et maman protégeaient la maison. » Alors que les tensions se sont apaisées, les gendarmes reprennent progressivement une mission essentielle : entretenir le lien avec la population.

Les gendarmes multiplient les actions de contact et organisons des coutumes (façon de se présenter dans la culture kanak)
© GEND/SIRPA/MDC B. LAPOINTE

Entretenir le lien avec la population : une mission essentielle

« En raison de la présence d’une population majoritairement indépendantiste, notre grande priorité a toujours été de cultiver des contacts avec les tribus, afin d’obtenir du renseignement et d’anticiper les actions militantes, souligne l’officier. Nous comptons en permanence sur ces relations pour éviter toute prise à partie des gendarmes. Au cours de la crise, les militaires de la compagnie ont continué à rencontrer les responsables et à essayer de conserver la dynamique du dialogue. Cette persévérance a participé au retour d’un calme relatif. Nous nous sommes appuyés sur tous les gendarmes de la compagnie, et notamment ceux originaires de Nouvelle-Calédonie, qui possèdent les codes locaux, à l’image du Coordinateur du renseignement administratif et judiciaire (CRAJ), créé au sein de la compagnie de Poindimié depuis le mois de mai 2024. Grâce à des négociations et aux relations entretenues avec les coutumiers, il est parvenu, avec l’appui des services du COMGEND, à obtenir la fin du siège de la brigade de Hienghène sans que nous ayons à recourir à la force. Les gendarmes locaux ont alors rapidement pu reprendre le terrain dans de bonnes conditions de sécurité. Aujourd’hui, nous multiplions nos actions de contact et organisons des coutumes (façon de se présenter dans la culture kanak, NDLR). Dans cette perspective, nous avons pour idée d’organiser la fête de la Sainte Geneviève dans une paroisse d’une tribu de Poindimié. Cet événement nous permettrait de réunir le conseil des clans du district de Wagap afin de réaliser une coutume et de souligner le fait que nous renouons des contacts avec le monde coutumier. »

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