En Guyane, les gendarmes rencontrent les peuples autochtones du bout du monde

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 26 juin 2024
Les gendarmes se dirigeant vers le Tukusipan.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

À l’ouest de la Guyane, la Communauté de brigades (CoB) de Maripasoula compte dans son ressort de nombreux villages isolés, particulièrement difficiles d’accès. Afin d’offrir à leurs habitants un service public digne de ce nom, les gendarmes de l’unité s’y rendent plusieurs jours par mois. Ainsi immergés dans le quotidien des peuples autochtones, les militaires vivent alors une expérience inoubliable et hors du temps.

Le capitaine Éric Simonet, commandant la Communauté de brigades (CoB) de Maripasoula, et la gendarme Hélène ont déjà embarqué dans la pirogue pilotée par le maréchal des logis Daniel. Ils s’apprêtent à vivre une expérience exceptionnelle, qu’aucun autre gendarme de France n’a l’occasion de connaître, en allant à la rencontre des peuples autochtones les plus éloignés d’Amazonie, pendant plusieurs jours. Initiée par l’officier, avec l’accord du commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Laurent-du-Maroni et du commandant de la gendarmerie de la Guyane française (COMGEND-GF), cette mission de Police de sécurité du quotidien (PSQ) se déroule une fois par mois.

« Ces villages se situent en France, souligne le capitaine Simonet. Leurs populations ont le droit à la même sécurité que tous les citoyens français et au même intérêt de la part de l’État. Nous nous devons d’y aller. »

Le capitaine Simonet et la gendarme Hélène naviguant sur le fleuve avec Daniel, piroguier.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Rattachés à la circonscription de Maripasoula, les villages autochtones se situent le long du fleuve Maroni, en direction du Brésil. En raison de leur implantation dans le Parc amazonien de Guyane (PAG), composé de forêt équatoriale, la pirogue constitue l’unique moyen de transport permettant d’y accéder. La régularité des missions de PSQ, menées par les gendarmes de la CoB de Maripasoula, ponctuellement renforcés par des gendarmes mobiles, leur permet de mieux connaître la population et d’instaurer un climat de confiance favorable.

Connaître la population de la circonscription

Bien que de nationalité française, les peuples autochtones situés dans le ressort de la CoB de Maripasoula présentent de nombreuses singularités.

« Nous avons fait le choix d’effectuer une PSQ de plusieurs jours afin d’avoir le temps de rencontrer les habitants de chaque village, précise le capitaine Simonet. Réaliser cette mission en une seule journée nous aurait conduit à devoir nous presser, ce qui aurait été perçu comme une forme d’impolitesse. Passer plusieurs jours à leurs côtés nous permet de mieux comprendre leur manière de vivre. »

Village amérindien le long du Maroni.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Élahé, Kayodé, Talhuwen, Antécume-Pata sont autant de villages visités. Ils sont habités par plusieurs centaines d’Amérindiens, dont les modes de vie, les rites, traditions et croyances diffèrent sensiblement du reste de la Guyane, et plus encore de la métropole. « Je tiens un carnet dans lequel j’inscris les coutumes que j’observe dans les différents villages que je traverse, précise l’officier. Cette prise de notes me permet de ne pas commettre d’impairs. »

Les gendarmes accostent au pied de chacun des hameaux, puis rejoignent le tukusipan, construction traditionnelle de la communauté Wayana, l’un des six peuples amérindiens vivant en Guyane. Haut de plusieurs mètres, cet édifice est constitué d’une ossature en bois et de ballots de feuilles tressées. Véritable point de ralliement, il permet de célébrer les fêtes et rites et de recevoir les visiteurs. Sous son toit, les gendarmes échangent avec les habitants et s’enquièrent de leurs inquiétudes éventuelles. En l’absence d’autre représentant de l’État sur place, ils disposent également des attributions dévolues aux commissaires de justice [ex-huissiers de justice] et peuvent donc formuler des conseils juridiques et mettre à exécution certaines décisions de justice. Souvent confrontés à la barrière de la langue, les militaires de la CoB de Maripasoula s’appuient sur le piroguier qui les accompagne. Originaire de la région, il maîtrise plusieurs dialectes, qui lui permettent de s’improviser interprète.

Le CNE Simonet avec le chef Taliné.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

En fin de journée, les militaires s’arrêtent dans l’un des villages pour y passer la nuit, comme à Freedom City, où ne vivent que 35 personnes. Privés de réseau téléphonique et de leur confort habituel, les gendarmes se conforment au rythme de vie des habitants et vivent alors un moment suspendu. « Ce village n’existe même pas sur les cartes, détaille le capitaine Simonet. Le chef Taliné s’est installé ici avec sa famille. Il ne dispose pas de titre de propriété, ni de reconnaissance officielle, raison pour laquelle ils sont encore plus isolés du reste du monde. Le village n’est alimenté ni en électricité, ni en eau courante. Les habitants ont recours à un groupe électrogène et vivent de la chasse et de la pêche. Les enfants doivent se rendre à l’école en pirogue dans l’un des villages voisins. Taliné a tenu à nous offrir l’hospitalité lors de nos visites. Il a même monté un carbet (abri en bois sans mur, typique de la Guyane, NDLR) afin de nous permettre d’installer nos hamacs. Nous partageons leurs repas et nous nous lavons dans le Maroni. En remerciement de l’accueil qu’ils nous réservent, nous ramenons de la nourriture différente de celle qu’ils peuvent habituellement consommer. La dernière fois, nous avons apporté de la semoule au lait. Ils n’en avaient jamais mangé de leur vie. Le plus étonnant est peut-être leur profond attachement à la France, alors qu’ils vivent à plus de 7 000 kilomètres de la métropole. Taliné nous a récemment interrogés sur la possibilité de lui offrir un drapeau tricolore afin de le fixer sur un mât planté au bord du Maroni. Il veut avoir cette fierté de rappeler qu’ici nous sommes encore en France. »

Les gendarmes échangeant avec des enfants d'un village amérindien.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Le lendemain, les gendarmes de Maripasoula poursuivent leur route jusqu’au dernier village d’Antécume-Pata, où vivent 500 âmes. Son nom signifie « le village d’André », en hommage à son fondateur, André Cognat, un métropolitain venu vivre en Guyane. Les militaires sont accueillis par sa fille Sandrine. Après avoir échangé un long moment avec elle, ils rencontrent Mimisiku. Le nom de cet artisan local a également inspiré le film « Un Indien dans la ville », sorti en 1994.

Mimisiku échangeant avec la gendarme Hélène.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Au-delà de ce village, l’Amazonie est habitée de mythes et de légendes. Selon les Amérindiens, entre Antécume-Pata et les monts Tumuc-Humac, succession de collines situées entre le sud de la Guyane et du Suriname et le nord du Brésil, il existerait une « tribu des invisibles », composée d’êtres primitifs vivant dans la forêt et susceptibles de s’adonner au cannibalisme.

Au fil du temps, les gendarmes ont également associé leurs familles à ces missions de contact. Aux côtés des gendarmes de Maripasoula, conjoints et enfants découvrent à leur tour ces communautés du bout du monde, appréhendent plus facilement l’utilité de cet engagement et vivent ainsi une aventure commune, qui participe à renforcer les liens familiaux et amicaux. La présence des familles facilite également l’instauration d’un climat de confiance.

Instaurer un climat de confiance

« Avec la mise en place de ces missions, la perception que la population a de nous a changé, explique le capitaine Simonet. Les membres du peuple Wayana, bien que timides, s’adressent désormais beaucoup plus facilement à nous et nous invitent même à manger. Nous avons instauré un véritable climat de confiance, qui les encourage à nous parler en cas de problème. À l’image de Sandrine, nous avons identifié des référents dans chaque village, qui disposent de nos numéros de téléphone et qui sont en mesure de porter à notre connaissance des informations, dans des domaines aussi variés que l’orpaillage illégal (présence de chercheurs d’or clandestins, etc.) ou encore l’ordre public (grève des professeurs dans les écoles des villages par exemple, etc.). Nous devançons le renseignement. »

Le capitaine Simonet échangeant avec un villageois installé dans son hamac.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Cette confiance permet aux gendarmes de mettre en œuvre ou de s’inscrire dans des actions de prévention aux côtés d’autres partenaires. Ainsi, en octobre 2023, plusieurs d’entre eux ont accompagné l’association Chercheurs d’Autres afin de sensibiliser les habitants des différents villages aux risques encourus à passer de la drogue, tant sur le plan pénal que celui de la santé. Les trafiquants recrutent en effet des mules qui ingèrent des ovules de cocaïne afin de les transporter. Ils ciblent notamment les nombreux jeunes sans-emploi des villages amérindiens, qui trouvent dans cette activité un moyen de gagner de l’argent facilement. Les opérations menées concernent aussi la Lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI), la consommation d’alcool et les violences intrafamiliales.

Ces dernières semaines, les gendarmes ont multiplié les actions au sein de ces villages isolés. Ainsi, fin mars 2024, ils ont pu assister à la cérémonie d'inauguration du nouveau tukusipan d’Antécume-Pata, à laquelle étaient conviées de nombreuses personnalités politiques et coutumières. Ayant eu l’honneur d’être invités, les gendarmes ont également assuré la sécurisation de cette fête emplie de rites et de danses traditionnelles, dont l’un des moments forts a été la montée du ciel de case. Installée juste sous la toiture, cette pièce circulaire ornée de motifs constitue un symbole ancestral de la culture amérindienne.

À l’occasion des élections européennes du 9 juin 2024, les militaires de la CoB de Maripasoula se sont rendus au village de Talhuwen, qui comprend un bureau de vote. Ils étaient chargés d’apporter l’urne la veille du scrutin, d’assurer la sécurité du vote et du dépouillement, puis de remettre les plis et le procès-verbal d’élection à des gendarmes du COMGEND-GF venus les récupérer par hélicoptère.

Afin de rompre encore un peu plus l’isolement des peuples autochtones du ressort de la circonscription, d’autres projets sont en réflexion ou ont déjà été menés. Ainsi, le capitaine Simonet œuvre auprès des élus locaux pour obtenir la mise à disposition d’un local dans l’un des villages principaux. Celui-ci permettrait notamment de faciliter le recueil des plaintes. L’inspection annoncée de la CoB de Maripasoula est également organisée chaque année dans l’un des villages. Les habitants peuvent donc assister à cet événement solennel et de cohésion au cours duquel sont notamment évoqués le bilan de l’année et les perspectives à venir d’une véritable gendarmerie de proximité.

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