En Guyane, les gendarmes mènent des raids aériens sur les sites d’orpaillage illégaux

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 12 septembre 2024
Hélicoptère au dessus d'une baranque.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

En Guyane, les gendarmes de l’Antenne du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) et de la Section aérienne gendarmerie (SAG) sont engagés dans la mission Anaconda. Celle-ci consiste à mener des raids aériens répétés sur les sites d’orpaillage illégaux afin de décourager les chercheurs d’or clandestins. Gendinfo vous fait vivre l’une de ces missions périlleuses.

Son nom n’a pas été choisi par hasard. À l’image du redoutable serpent constricteur, la mission Anaconda vise à étouffer l’activité d’orpaillage illégal en détruisant systématiquement les outils de production des garimpeiros (chercheurs d’or clandestins, NDLR), au point d’en rendre le coût insoutenable. Deux à trois fois par mois environ, les gendarmes engagés dans cette mission ciblent plusieurs sites et détruisent les moyens de production présents sur place. Au cours des semaines qui suivent, des raids aériens sont de nouveau menés si une reprise d’activité est constatée.

Une préparation minutieuse

Le rendez-vous est fixé à 6 h 00 dans les locaux de l’Antenne du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) de Guyane. Cinq gendarmes de l’unité s’activent déjà dans leurs alvéoles et préparent armement et matériels pour la mission du jour. Ils revêtent leurs gilets tactiques, préparent leurs équipements de protection balistique, s’équipent de leurs fusils HK G36 forêt, pistolets glock 19 et radios visant à communiquer avec les aéronefs et les militaires au sol. Ils embarquent également plusieurs outils leur permettant de s’orienter (GPS, AlpineQuest, boussole, etc.) ainsi qu’une trousse de premiers secours individuelle. Un briefing a lieu dans la salle des traditions. Devant un auditoire attentif, le major Guillaume détaille la mission n°588 type Anaconda qu’il a longuement préparée. Si aucune des opérations menées par l’AGIGN n’est anodine, les missions Anaconda présentent un risque accru. C’est la raison pour laquelle les gendarmes de l’antenne sont renforcés par Jessica, médecin au Centre médical interarmées (CMIA). Après avoir rappelé les caractéristiques de l’adversaire et les modes d’action qu’il peut adopter en réaction à l’action des gendarmes (fuite, prise à partie, etc.), le major Guillaume s’attarde sur le cadre légal de l’opération et sur la ficelle de vol. Ce document présente l’itinéraire prévu ainsi que les chantiers (sites d’orpaillage illégaux, NDLR) visés, situés au sud-ouest du territoire, en plein cœur du Parc amazonien guyanais (PAG).

Après ces premières explications, les militaires se dirigent vers la Base aérienne 367, sur laquelle est implantée la Section aérienne gendarmerie (SAG) de Cayenne. Les missions Anaconda s’effectuent à deux ou trois hélicoptères. L’hélicoptère d’appui est systématiquement un aéronef gendarmerie équipé de protections balistiques. Le second est fréquemment affrété par un opérateur civil qui opère sous réquisition. Après un briefing consacré à la phase héliportée de la mission, la maréchale des logis-cheffe Kelly et l’adjudant Thomas, respectivement pilote et mécanicien de bord de l’hélicoptère AS350 B2 Écureuil de la gendarmerie nationale, et Brice, pilote d’un appareil similaire exploité par la compagnie aérienne Hélicoptères de France (HDF), procèdent à l’inspection de leurs machines. Celles-ci ont été délestées des banquettes arrière et du siège du copilote afin de maximiser leur capacité d’emport et leur autonomie en carburant, estimée à 1 h 45.

Hélicoptère civil employé dans le cadre des missions Anaconda.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Les militaires prennent place à bord et glissent sous les bancs des aéronefs, les masses et scies sabre qui leur serviront à détruire les outils de production des garimpeiros. Dans les soutes sont stockées des bouteilles d’eau. Au cours de la journée, les gendarmes consommeront facilement quatre à six litres d’eau chacun.

L’hélicoptère, indispensable à la mission

Alors que le vrombissement des rotors se fait progressivement entendre, les gendarmes rencontrent une première inquiétude. Les témoins du tableau de bord de l’hélicoptère de la gendarmerie indiquent une défaillance. Soumis à l’humidité permanente de la Guyane, les aéronefs souffrent fréquemment d’un manque de disponibilité. Après une quinzaine de minutes, c’est le soulagement. Il ne s’agit que d’un capteur à changer. L’adjudant Thomas s’affaire à le remplacer pour permettre la reprise rapide de la mission.

La seconde fois est la bonne. Les deux appareils s’élancent au-dessus du tarmac. Rapidement, les habitations laissent place à la forêt équatoriale. Les pilotes décident de prendre de la hauteur afin d’éviter l’épaisse couche nuageuse qui s’est formée au-dessus de la canopée. Fabrice, qui seconde le major Guillaume, suit la progression sur son GPS. Une heure s’écoule avant que les hélicoptères n’entament leur descente.

Fabrice suivant la progression de l'hélicoptère sur son GPS.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Alors que la cime des arbres se rapproche, les pilotes qui volaient côte à côte décident d’adopter une tactique d’approche en serpent. L’hélicoptère HDF vient se positionner derrière l’hélicoptère gendarmerie. Les pilotes rasent désormais la jungle guyanaise afin de diminuer la portée du bourdonnement du rotor. Celui-ci est décelable dans un rayon de huit kilomètres autour des chantiers. Les militaires devront agir rapidement afin de conserver l’effet de surprise et d’empêcher les garimpeiros de réagir à l’approche des appareils.

D’un signe de la main, Fabrice indique à l’équipage le temps restant avant l’arrivée sur site. Les militaires s’équipent intégralement et vérifient leur armement. La tension monte d’un cran. Nicolas effectue des mouvements afin d’échauffer ses poignets et ses doigts en prévision des efforts physiques qu’il aura à fournir. La porte latérale de l’Écureuil gendarmerie s’ouvre. Jérémy, tireur embarqué, s’assoit au bord de l’appareil et épaule son fusil d’assaut HK417 sous les ordres du coordinateur tireur. Les pilotes entament la phase d’approche.

Tireur embarqué de l'AGIGN à bord de l'hélicoptère.
© GEND/ SIRPAG/ GND.CHATAIN

Aborder, prendre pied, s’emparer, détruire

Harnachée dans son siège balistique, la maréchale des logis-cheffe Kelly effectue une rotation au-dessus du premier chantier. D’un coup d’œil, le major Guillaume jauge le site. Il détermine s’il est bien actif, conformément aux données transmises par le Centre de conduite des opérations (CCO) et évalue la réaction des garimpeiros présents sur place. Si la majorité d’entre eux prennent la fuite, il est arrivé par le passé que des hélicoptères se fassent tirer dessus par des bandes armées. Le chef de mission observe également les orpailleurs clandestins qui s’affairent autour des baranques (cratères artificiels pouvant atteindre plusieurs mètres de profondeur et servant à récolter les eaux d’érosion liées à l’orpaillage, NDLR). À l’approche des aéronefs, les garimpeiros tentent fréquemment de dissimuler les motopompes en les jetant à l’eau depuis des pontons de fortune. Après le passage des gendarmes, ils sont capables de remettre en route un moteur qui a été totalement immergé.

Hélicoptère survolant une baranque.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Fort de son expérience, le major Guillaume a repéré les motopompes. Afin d’éviter que les patins ne s’enfoncent trop profondément dans la terre boueuse, l’hélicoptère HDF atterrit précautionneusement sous appui feu de l’aéronef gendarmerie. Les militaires mettent pied à terre en se courbant pour se protéger du rotor principal, investissent la zone et neutralisent la lance-monitor pendant que le second appareil se pose. Délivrant une forte pression hydraulique, la lance-monitor est utilisée pour fracasser la roche, mais peut causer d’importantes blessures si les orpailleurs décident de la retourner contre les gendarmes. Les garimpeiros n’ont pas totalement quitté le site, mais se tiennent à bonne distance des gendarmes qui débutent la destruction de leurs outils de production. Sous appui de l’un de ses camarades, Fabrice s’immerge dans la baranque puis saisit le crochet se trouvant à l’extrémité du filin accroché au treuil de l’hélicoptère HDF, qui effectue un vol stationnaire en surplomb. Il plonge alors dans l’eau laiteuse, souillée par des traces d’hydrocarbure et de mercure, et parvient à accrocher la motopompe après de longues secondes de tâtonnement. À l’aide de sa radio, Fabrice guide alors la remontée du filin. Irrésistiblement soulevé par la puissance de l’aéronef (technique du sling, NDLR), le moteur émerge du cratère puis est déposé sur la terre ferme. Nicolas entreprend alors de le détruire. Après l’avoir ouverte avec une clé plate, il fracasse la motopompe à l’aide d’une masse, pendant que Fabrice débite les tuyaux servant à acheminer l’eau, avant de réunir les morceaux. Il les embrasera dans un second temps, à l’aide d’un briquet et de carburant trouvé sur place. Les gendarmes sont couverts de boue. Leurs visages ruissellent de sueur. La chaleur étouffante est accentuée par le port des gilets pare-balles et des équipements de protection (gants, lunettes, etc.) Les arbres ont été rasés afin de permettre l’exploitation illégale de l’or, le site n’offre donc aucune zone d’ombre. Pour les deux pilotes, pas de temps à perdre. Ceux-ci profitent du temps nécessaire à la destruction pour effectuer une rotation afin de se ravitailler en carburant à Maripasoula.

  • L'hélicoptère de l'AGIGN et les gendarmes en descendent.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Hélicoptère utilisant la technique du sling.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Un militaire de l'AGIGN découpe un tuyau à la scie.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Fabrice donnant ses instructions à l'hélico depuis une baranque.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Fabrice brûlant le matériel utilisé par les garimpeiros.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarme détruisant un moteur à l'aide d'une masse.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • L'hélicoptère de l'AGIGN et les gendarmes en descendent.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Hélicoptère utilisant la technique du sling.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Un militaire de l'AGIGN découpe un tuyau à la scie.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Fabrice donnant ses instructions à l'hélico depuis une baranque.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Fabrice brûlant le matériel utilisé par les garimpeiros.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarme détruisant un moteur à l'aide d'une masse.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Alors que les morceaux de tuyaux et les tamis récupérés sur les tables de levée (la pompe aspire le mélange de sédiments et le passe ensuite dans une table de levée qui piège alors les éléments les plus lourds, dont l’or, NDLR) se consument dans le brasier allumé par Fabrice, les hélicoptères atterrissent afin de récupérer les militaires et les acheminer vers le prochain site. À peine montés à bord, et alors que les garimpeiros s’approchent des flammes afin de tenter de récupérer le matériel calciné, les militaires ont tout juste le temps de réajuster leurs équipements qu’un nouveau chantier se présente déjà.

S’adapter à l’adversaire afin de maximiser les opérations de destruction

Les pilotes reproduisent le même ballet, mais doivent cette fois-ci redoubler d’ingéniosité. Les garimpeiros ont piégé le chantier à l’aide de perches artisanales en bois qui empêchent l’atterrissage des appareils. Sous appui du tireur embarqué, Brice effectue une manœuvre délicate en venant poser la pointe du patin de la machine pour permettre à Nicolas de descendre et de retirer un nombre suffisant de perches. Alors que le premier hélicoptère parvient enfin à se poser pour débarquer ses passagers, l’appareil gendarmerie se dirige vers l’extrémité du site. La maréchale des logis-cheffe Kelly stabilise l’aéronef à quelques mètres au-dessus du sol. L’adjudant Thomas effectue la dépose en treuillage des trois gendarmes de l’AGIGN. Le dernier d’entre eux touche terre et décroche le câble de son baudrier, puis les deux hélicoptères s’éloignent afin de trouver une zone suffisamment dégagée leur permettant d’atterrir en sécurité. Les équipes s’attellent aux destructions. Au fur et à mesure, les matériels mis hors d’usage sont comptabilisés afin d’en informer le CCO et de les référencer dans une procédure judiciaire à l’issue de la mission.

Hélicoptère treuillant un gendarme de l'AGIGN sur un site orpaillé.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Les chantiers s’enchaînent. En moyenne, les gendarmes engagés dans le cadre d’une mission Anaconda détruisent quinze à vingt-cinq moteurs en une journée. Le soleil couchant sonne la fin de l’opération. Après un dernier site, les aéronefs entament le trajet du retour. Les cabines sont silencieuses. Les équipages sont couverts de terre. Visages marqués par la fatigue et corps envahis de courbatures, ils se laissent absorber par la beauté de la forêt équatoriale qui s’étend sous leurs pieds. À l’arrivée, il leur faut encore nettoyer le matériel, l’armement et les machines. Impitoyable, à l’image de la jungle guyanaise, la boue a pénétré dans le moindre interstice.

Militaires revenant de la mission Anaconda.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

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