Le GIGN, 50 ans « d’anti-fragilité », entretien avec le général de division Ghislain Réty

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 13 juin 2024
Général de division Réty
© GIGN et C. Lepetit

Le GIGN célèbre ses 50 ans cette année. À la tête du Groupe depuis 2020, le général Ghislain Réty revient sur les évolutions et événements qui ont marqué ces cinq décennies, évoquant également des souvenirs plus personnels de ses deux précédentes affectations au sein de cette unité d’élite de la gendarmerie.

Mon général, quelles ont été, selon vous, les évolutions les plus marquantes de ces cinq décennies ?

Sans hésiter, les évolutions structurelles apportées par les deux grandes réformes de 2007 et de 2021. La première s’est faite au plan horizontal, faisant passer le groupe de un à trois métiers (intervention, acquisition du renseignement et sécurité-protection, NDLR) et développant sa professionnalisation, notamment avec la création du centre national de formation et des appuis spécialisés. La réforme de 2021 a été plus verticale, conduisant à l’intégration et à la professionnalisation des quatorze antennes de métropole et d’outre-mer (le GIGN est passé alors d’un contrôle opérationnel à un commandement des antennes, NDLR). Nous avons également intégré les TEASS (Techniciens en Escorte d’Autorités et Sécurisation de Site), rebaptisés PHP (Protection Hautes Personnalités), à hauteur de 120, au sein des antennes, et instauré une préparation opérationnelle commune à la Force sécurité protection, avec laquelle ils travaillent sur les théâtres. Enfin, nous avons aussi professionnalisé les GOS (Groupes Observation Surveillance) outre-mer, lesquels sont rattachés aux antennes. Cette phase de régionalisation s’est également constatée au niveau des négociateurs régionaux, qui n’existaient pas il y a dix ans et qui sont aujourd’hui près de 460, dont certains au sein des antennes.

D’autres évolutions, plus circonstancielles, vont de pair avec les évolutions technologiques globales ainsi qu’avec celles de l’adversaire. Aujourd’hui, plus une mission ne se fait sans un moyen « techno ». Cela s’est traduit par la création d’une Division technique (D.T.), qui regroupe plusieurs capacités. Au niveau des missions, le GIGN a pris le segment de la protection en 2007. Puis, en 2021, outre la régionalisation des antennes, nous avons une multiplication des théâtres d’opérations extérieures, consécutive à l’intégration des PHP. Nous sommes ainsi passés de deux à une dizaine de théâtres permanents, avec un suivi rigoureux et des interactions permanentes avec le GIGN central.
Quant à la délinquance, à mon sens, il n’y a pas eu vraiment d’évolution, à part quelques missions nouvelles comme les ransomwares, qui restent assez marginaux. La révolution à venir, c’est peut-être l’apparition de la menace drones et l’utilisation criminelle de l’I.A.

Est-ce que ces évolutions ont eu un impact sur l’identité du GIGN ?

Pas vraiment. Nous sommes passés d’un système très centralisé à une organisation tentaculaire, irradiant sur la métropole, l’outre-mer et l’étranger, tout en préservant notre ADN et nos valeurs. Nous les avons même ancrées davantage. Le GIGN s’est transformé, a gagné en puissance et en réactivité, en conservant ses fondamentaux : capacité d’initiative, de développement, avec ce temps d’avance sur beaucoup de choses qui fait la force du groupe, souplesse, agilité, capacité de réactivité… Nous avons ainsi raccourci les délais d’intervention, augmenté notre capacité de monter en puissance, et nous sommes en mesure de prendre davantage de missions, avec la même précision. Nous pouvons par exemple engager deux antennes et le GIGN central sur une traque, soit une centaine de personnes, contre une quinzaine auparavant. De la même manière, nous sommes capables de sanctuariser une antenne sur le Relais de la Flamme, comme on a pu le faire sur le procès V13… Le corollaire, c’est qu’en central, les opérationnels font toujours autant de missions, mais concentrées sur le haut du spectre, tendant ainsi vers une professionnalisation encore plus grande.

En matière d’opérations, quelles sont celles que vous retiendriez comme étant les plus remarquables ou significatives pour le Groupe ?

Techniquement, tactiquement et surtout médiatiquement, Marignane reste LA mission. C’est la première opération à avoir été filmée et vécue en direct, ce qui reste exceptionnel et lui a donné un effet démultiplicateur incroyable. En outre, aucun blessé n’a été à dénombrer parmi les otages. On peut dire que c’est un miracle… mais un miracle qui se provoque ! Mais il ne faut pas oublier qu’il y a eu huit détournements d’avion traités par le GIGN en 50 ans, quasiment tous dans les années 70-80. On peut en outre citer la prise d’otages de Loyada (Djibouti), en 1976. En 1979, on a la prise d’otages de La Mecque, qui a eu un gros impact, notamment dans le Proche et Moyen-Orient et toute la péninsule arabique. Bien sûr, la traque des frères Kouachi, en 2015, qui s’achève à Dammartin-en-Goële. À l’étranger, on peut retenir la Côte d’Ivoire, dans les années 2010, l’Afghanistan, sur la période 2010-2014, et plus récemment l’Ukraine, le Soudan ou encore Haïti. Le drapeau du GIGN a d’ailleurs été décoré à deux reprises de la Croix de la Valeur Militaire pour ses actions sur ces théâtres d’opérations extérieures : en 2011, pour la Libye, la Côte d’Ivoire et l’Afghanistan, puis en 2013, pour plusieurs actions menées en Afghanistan sur la période 2011-2012.

Peut-on dire que le champ d’action du Groupe s’est élargi en 50 ans ?

Tout à fait ! D’abord géographiquement, avec une attention désormais permanente sur l’outre-mer. Sur chaque événement d’ampleur, le GIGN est présent et projette des renforts. On le voit aussi avec les théâtres étrangers, principalement au regard de l’évolution et de la complexification de certains pays ou zones, où le besoin en protection devient plus important, comme au Sahel, en Ukraine, au Venezuela ou encore à Haïti…
Et bien sûr, si le fond de nos missions reste le même, nous avons eu une extension opérationnelle avec la réforme de 2007, notamment à travers le développement des appuis spéciaux, qui nous a permis d’étendre le champ de nos concours. Nous nous sommes aussi positionnés sur de nouveaux créneaux, où le GIGN est à même d’apporter une plus-value, comme les violences urbaines. Enfin, le fait d’être passé à un effectif plus important nous conduit à nous engager sur des missions type traques, en mettant systématiquement en œuvre tous les moyens. Mais cela correspond aussi à mon sens à un changement plus large de doctrine, qui se traduit par la mise en place d’une « bulle » associant différentes unités et technicités (escadrons, GIGN, hélicos…), afin de fixer un individu en fuite au lieu de déployer les traditionnelles techniques de police judiciaire.

Avant de prendre le commandement du GIGN en 2020, vous y avez fait deux passages, d’abord de 1995 à 2001, puis de 2007 à 2013. Quels souvenirs gardez-vous de chacun d’eux ?

De 1995 à 2001, en tant que chef de section, je partais sur toutes les missions, et elles étaient nombreuses, parce qu’à l’époque il n’y avait ni les antennes, ni même les PI2G. Nous n’étions que quatre officiers, dont deux à vraiment tourner sur les missions, donc on les prenait quasiment toutes. La contrepartie, c’est qu’on s’entraînait finalement très peu. C’était aussi la période post-Marignane, impliquant beaucoup de voyages à l’étranger pour présenter l’opération, prendre des Retex… C’est l’image que je conserve de mes années de lieutenant-capitaine : tout le temps sur les routes, dans les avions, à l’étranger ou sur des missions. Le rythme était plus soutenu que celui que peuvent connaître les forces aujourd’hui. Certes, le dimensionnement de l’unité n’était pas le même, mais surtout il n’y avait pas le même process d’évaluation, par conséquent dès que c’était une zone grise, on y allait.

Mon deuxième passage, de 2007 à 2013, est complètement différent. J’arrivais chef d’escadron dans un GIGN passé d’un effectif de 80 personnels à 400, et regroupant désormais trois métiers. D’abord chef de projet en charge des relations internationales, j’ai continué de beaucoup bouger. Je m’occupais aussi du contre-terrorisme aérien, à une époque où l’on a mis en place pas mal de procédures. Je suis ensuite passé chef des opérations, le poste le plus exigeant que j’ai fait au G.I. : on est sur toutes les missions, on les monte, on les suit, on fait aussi bien de la conduite que de la doctrine. Je garde aussi le souvenir de cette transformation de 2007, qui a été majeure, voire révolutionnaire, extrêmement complexe, entre les enjeux d’identité, d’interopérabilité… Le fait de l’avoir vécue m’a beaucoup aidé à conduire celle de 2021, qui s’est avérée finalement beaucoup plus « simple ». Quand je reviens prendre le commandement du GIGN en 2020, c’est donc encore différent, puisque c’est avec l’enjeu majeur de réussir cette nouvelle réforme.

Trois commandements complètement différents avec trois GIGN différents, si ce n’est cette même âme, ce même état d’esprit.

Que ressent-on quand on commande une unité comme celle-ci ?

C’est une unité qui va toujours aussi vite et c’est ce qui la rend aussi passionnante. Tout fonctionne en boucle courte, avec des décisions extrêmement rapides. Il n’y a pas de superflu, on va à l’essentiel en permanence, ce qui fait la force du groupe. Avec un pool commandement à huit pour diriger 1 000 experts, on passe d’une problématique technologique à un engagement opérationnel, en passant par les partenariats à l’international. Je rappelle que nous sommes dans plus d’une dizaine de réseaux et que nous collaborons avec plus de 80 pays : les sujets internationaux sont quotidiens ! Sans oublier la gestion des personnels. Notre branche de gestion est particulière. Nous sommes en effet les seuls à gérer métropole et outre-mer, les seuls à recruter, former et recycler tous nos personnels.

Pour moi, qui ai eu la chance de commander une compagnie outre-mer, avec une très forte activité (NDLR, Le Moule à la Guadeloupe), et un gros groupement (NDLR, la Gironde), je ne dirais pas que c’était simple, mais ce qui paraissait extraordinaire dans ces territoires constitue finalement le quotidien au GIGN. Aujourd’hui, nous menons huit missions par jour en métropole, sur le haut du spectre, c’est-à-dire quand la situation est la plus complexe.

Le GIGN est-il aujourd’hui complètement abouti ou doit-on s’attendre à de nouvelles évolutions aux plans structurel et missionnel ?

Il n’est jamais abouti et heureusement. Les deux réformes de 2007 et 2021 ont rendu le GIGN fort, solide. Au fil des ans et des missions, il a su se constituer un capital confiance auprès de nos chefs et de nos politiques, mais aussi des Français. Il y a une admiration, une forme de respect, qui résultent de 50 ans de savoir-faire et d’excellence. Mais c’est un G.I. qui va encore se transformer, c’est inévitable, parce que depuis sa création, l’unité a toujours su s’adapter et anticiper le changement. Le GIGN est pour moi un exemple d’anti-fragilité : à chaque crise, il se durcit, se renforce…

Déjà, géographiquement, Cap Satory va doubler notre superficie. C’est un gros enjeu, même s’il ne va pas changer le G.I. D’un point de vue structurel, il y a potentiellement encore des transformations à réaliser. Peut-être que l’apparition de nouvelles menaces conduira aussi à la création de nouvelles cellules. Mais il reviendra à mon successeur de mener ces réflexions.

Pour en savoir plus, découvrez le Gendinfo n°420 consacré aux 50 ans du GIGN.

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