Un gendarme à la croisée des pays baltes

  • Par la lieutenante Floriane Hours
  • Publié le 08 septembre 2023
© D.R

Dans 74 des 160 ambassades que la France déploie à l’étranger, des officiers de gendarmerie ou des officiers et commissaires de police occupent des postes d’Attaché de sécurité intérieure (ASI). À la tête d’un Service de sécurité intérieure (SSI), ces personnels ont pour mission d’accompagner et de conseiller les ambassadeurs. Le colonel Cyril Cuvillier, qui a rouvert le SSI de Vilnius en 2022, est l’un d’entre eux.

Sur les bords de la mer baltique, aux frontières de la Russie et de la Biélorussie, se trouvent trois pays : l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Anciens pays de l’ex-bloc soviétique à l’architecture urbaine hanséatique colorée, où quelques grands dômes dorés d’églises orthodoxes se dressent au milieu des clochers, les trois pays Baltes sont aujourd’hui résolument tournés vers l’Europe et la modernité. C’est dans ce décor, qu’en mai 2022, le colonel Cyril Cuvillier prend ses quartiers. Basé à Vilnius, au sein de l’ambassade de France en Lituanie, il rouvre ainsi un service qui existait entre 1992 et 2015 à Riga : le Service de sécurité intérieure, communément appelé SSI. Présents au sein des ambassades de France dans 74 pays, ces services sont composés, pour les plus importants, d’un ASI, d’un ASIA (ASI adjoint) et d’officiers de liaison issus des forces de gendarmerie et de police, spécialisés dans certains domaines (stupéfiants, criminalité organisée, migration, etc.). Dans les services de sécurité intérieure de plus petite taille, comme celui de Vilnius, les ASI peuvent travailler seuls, agissant ainsi sur tous les volets de la mission, de la création de canaux de coopération opérationnelle et technique, au conseil direct des ambassadeurs sur les questions de sécurité intérieure, le tout avec deux objectifs : le rayonnement de l’expertise et des compétences françaises à l’étranger et le retour en sécurité intérieure, c’est-à dire la gestion des menaces présentes au sein de ces pays, qui pourraient impacter directement ou indirectement le territoire ou les intérêts français. Des problématiques justement identifiés au sein les pays Baltes, où le colonel Cuvillier, en sa qualité d’ASI, interagit au quotidien avec ses partenaires des trois pays.

Trois pays, trois enjeux

Avec une modernisation et un développement numérique extrêmement rapides, et au vu d’une situation géographique délicate, due à la proximité immédiate de la Russie et de la Biélorussie, les trois pays Baltes, dont le niveau de délinquance de voie publique est particulièrement faible, subissent des pressions frontalières et une criminalité bien spécifique. Pour comprendre ces phénomènes, les impacts qu’ils ont sur la sécurité et les intérêts français et pour pouvoir mettre en place des axes de coopération adaptés, le colonel Cuvillier a dû, dès son arrivée, observer et comprendre. « L’Estonie est un pays qui ne se sent pas complètement à l’abri d’une agression russe et qui a donc décidé, l’année dernière, de remettre beaucoup d’argent dans un effort de préparation et de gestion de crise en sécurité civile, c’est-à-dire comment alerter les populations, activer des sirènes, mettre les gens à l’abri si les choses tournent mal. En France, avec la DGSCGC (Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises), nous avons une réelle expérience. Nous venons de déployer FR Alert, nous avons des centres de gestion de crise régionaux, départementaux, ainsi que la CIC à Beauvau, etc. Nous détenons un véritable savoir-faire face à une crise majeure. C’est donc un axe sur lequel les Estoniens sollicitent l’expertise française. »

Le deuxième sujet en Estonie, également transverse aux deux autres pays Baltes, concerne la question de la cybercriminalité : « Le développement informatique et technologique de ces pays est à l’état de l’art européen, voire en avance après des années de simplification et de digitalisation des démarches administratives. Pour les unités d’enquête, l’enjeu est de taille, car le développement rapide de banques en ligne ou de fournisseurs de services d’actifs virtuels offre des opportunités qu’utilisent également les criminels pour perpétrer des escroqueries sur Internet ou blanchir des capitaux. » Aussi, la capacité d’enquête cyber est un défi pris très au sérieux en Lettonie. « La police lettone est engagée dans une réforme du cursus de formation de ses personnels en matière d’investigations cyber. Ils sont extrêmement volontaires sur ce sujet, et cela tombe bien, puisque c’est exactement ce que nous faisons en France : nos deux pays sont donc sur le même tempo et cherchent à répondre aux mêmes questions et à relever les mêmes défis : comment bloquer les contenus pédopornographiques en ligne ? Comment protéger nos concitoyens des escroqueries sur Internet ? Comment tracer les flux de cryptomonnaie et lutter contre le blanchiment ? » Dans un monde digital, les espaces conversationnels ne sont pas non plus à l’abri de discours extrémistes : « De même qu’en France on surveille les contenus illicites en ligne, des patrouilles lituaniennes font la police sur les réseaux sociaux et sanctionnent les propos haineux. » Sur ce flanc Est de l’espace Schengen, il y a enfin la question très épineuse de la pression migratoire orchestrée par la Biélorussie : « Cette année, ce sujet a alimenté les débats parlementaires et conduit à une évolution de la loi lituanienne. C’est un sujet opérationnel qui résonne au plan politique, avec des travaux menés au sein des instances européennes. »

Coopération technique et politique

L’identification des menaces et des risques qui touchent la sécurité intérieure des pays Baltes est majeure pour permettre à l’ASI et, de facto, à l’ambassadeur de chaque pays, de mesurer l’incidence de ces enjeux. Le travail de l’ASI est aussi de créer des canaux de coopération, et ce, notamment sur les sujets identifiés. Pour cela, le colonel Cuvillier, arrivé sur un poste qui n’existait plus, a dû recréer tout un réseau avec les acteurs locaux de sécurité intérieure des trois pays. Un travail conséquent. « Quand je suis arrivé, je suis quasiment reparti d’une page blanche en termes de contacts. Avec l’aide des chancelleries, j’ai donc commencé par réinstaller des relations. Je suis allé me présenter et expliquer mon poste, ma mission, etc. J’ai reconstruit un carnet d’adresses sur le périmètre justice et affaires intérieures, parce qu’il n’y a pas ici de magistrat de liaison. L’idée était ensuite de démontrer qu’on peut faire mieux et plus ensemble. Il y a des sujets techniques sur lesquels on peut par exemple mettre en relation des experts, ou des sujets organisationnels sur lesquels on peut tirer ensemble les leçons d’initiatives ou de réformes réussies et partager nos visions des choses sur des projets en cours. Sur le cyber, par exemple, alors qu’on vient de créer le centre national de formation à Lille, j’ai découvert, en visitant l’académie de Police de Riga, qu’ils font la même chose en montant un cursus spécial cyber. »

En mettant donc en lien le CNF-Cyber et l’académie de police de Riga, le colonel a ainsi créé un lien de coopération privilégiée entre la France et la Lettonie. Les deux centres de formation se sont d’ailleurs rencontrés pour identifier leurs bonnes pratiques et envisager leur entraide mutuelle dans le développement des contenus de formations sur la question cyber. « Mon travail consiste à identifier les sujets sur lesquels on pourrait faire des choses ensemble et qui soient profitables aux uns et aux autres. Pour ce faire, mon quotidien est de comprendre les gens que j’ai en face de moi, leurs difficultés, leurs contraintes, leurs objectifs judiciaires, les domaines dans lesquels ils excellent ou cherchent à progresser, les points sur lesquels ils veulent changer les choses, etc. Cela peut aller de sujets très opérationnels à des sujets assez politiques. » Cette compréhension issue de réunions avec les forces de sécurité intérieure, au niveau des unités de terrain comme des directions générales, et d’échanges au niveau des ministères ou dans des enceintes animées par des acteurs européens, permet ainsi à l’ASI de développer son expertise, au profit des ambassadeurs et du ministère français de l’Intérieur.

Au côté de l’ambassadeur

Dans de nombreux cas, les ASI oeuvrent pour une ambassade dans un seul pays. Pour le colonel Cuvillier, il en est autrement. L’officier est en effet accrédité auprès de trois pays, ce qui triple certaines de ses missions, mais lui donne également une vision d’ensemble ; un avantage considérable pour comprendre les défis qui caractérisent toute la zone. « Au côté des ambassadeurs, mon travail est de lire la réalité, c’est-à-dire d’arriver à regarder le réel, à le comprendre et à le décrire pour le Quai d’Orsay. Je fais ce travail sur le pan de la sécurité intérieure, comme mon camarade de la mission de défense le fait dans sa sphère, et celui de la mission économique dans la sienne. Sur les questions de frontières par exemple, je me rends sur le terrain pour visiter des installations, interviewer les gardes, etc. Les journalistes relatent dans les médias un certain nombre d’informations, mais moi, je fais en sorte que le ministère de l’Intérieur français soit aussi informé de faits qui ne sont pas rapportés par les journalistes, mais par l’attaché qui s’est rendu sur place, qui a regardé, qui a discuté et qui a compris un certain nombre de choses structurantes de la réalité. »

Un travail extrêmement important pour les ambassadeurs de France, qui peuvent ainsi s’appuyer sur l’expertise des ASI, comme l’évoque Éric Lamouroux, ambassadeur de France en Estonie : « Dans ce pays, les questions sécuritaires sont centrales, et ceci plus encore avec la guerre en Ukraine et pour un pays voisin de la Russie. Un suivi s’impose donc sur les multiples implications de ce contexte : gestion des frontières, continuum sécurité externe/intérieure, etc. Par ailleurs, il existe des champs de coopération importants sur les questions digitales (cybersécurité, etc.). Sur toutes ces questions, l’apport d’un ASI au sein d’une ambassade est clé. Étant lui-même policier ou gendarme, il est souvent le seul à même de conduire une coopération technique avec les services de police du pays. Sa présence influe directement sur la qualité et la densité des relations bilatérales dans les domaines concernés. Son expertise et ses contacts peuvent faire la différence dans certains dossiers délicats ou situations de crise. »

Un lien qui va se prolonger, puisque le colonel Cuvillier, arrivé à Vilnius en 2022, après une affectation de deux ans au Liban avec Civipol, devrait rester encore deux à trois ans en poste. Le temps pour l’officier de gendarmerie de poursuivre la construction d’un maillage de capteurs et de coopération structuré et durable entre la France et les pays baltes, trois pays au cœur des nouveaux enjeux stratégiques.

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