L’engagement de la gendarmerie pendant la crise au Soudan

  • Par le général de division Ghislain Réty, commandant du GIGN
  • Publié le 15 septembre 2023
Capture de la vidéoprotecion de l'ambassade de France montrant deux soldats des RSF, lourdement armés (AK, RPK, RPG), effectuant des checkpoints aléatoires devant la résidence de l'ambassade française à Khartoum. Derrière eux, dans le fond, une palissade en tôle bleue,  et sur la droite, le long de la route, des blocs de béton.
Des soldats des RSF, lourdement armés (AK, RPK, RPG), effectuaient des checkpoints aléatoires devant la résidence de l’ambassade française à Khartoum.
© GIGN

Le 15 avril 2023, un conflit armé éclate au Soudan, entre les Forces armées soudanaises et le principal groupe paramilitaire du pays. Le 17 avril, au regard de la dégradation du contexte sécuritaire, la France lance une opération d’évacuation d’ampleur des diplomates et des ressortissants français, européens et étrangers.

Le 15 avril 2023, des combats entre les Forces armées soudanaises (FAS / SAF - Sudanese Armed Forces), troupes régulières du pays, et les Forces de soutien rapide (FSR / RSF - Rapid Support Forces), principal groupe paramilitaire du Soudan, éclatent au cœur de Khartoum, qui se transforme en théâtre de guerre. À cette date, hormis les cinq officiers et sous-officiers de la mission défense du ministère des Armées, les seuls autres militaires français présents au Soudan sont six gendarmes, à savoir les quatre GSD (Gardes de Sécurité Diplomatique) en charge de la sécurité de l’ambassade de France, située au centre de Khartoum, et les deux militaires chargés de la mission de Protection des hautes personnalités (PHP) placés auprès de l’ambassadrice. Au moment des combats, ces derniers se trouvent isolés à la résidence, au nord de la capitale. Dès 10 h 00, la violence des affrontements (tirs de chars, d’artillerie lourde, d’armes légères, etc.) empêche tout déplacement ou possibilité de sortir des bâtiments dans le centre-ville de Khartoum. De nombreuses victimes civiles sont à déplorer et l’équilibre des deux forces en présence, conjugué à la détermination des chefs des belligérants, laisse entrevoir un conflit qui va durer.

J0 à J2 : planification politique et stratégique de la France

Dès le samedi 15 avril (J0), 15 h 00, un Poste de commandement (P.C.) est mis en place au sein du GIGN, en lien avec la DGGN. Il permet notamment de centraliser tous les renseignements issus des différents canaux d’information, mais surtout de planifier la projection de renforts. Pendant quatre jours, les multiples réunions au Quai d’Orsay et à l’état-major des Armées permettent d’affiner les intentions politiques et de les décliner. L’interaction permanente entre le GIGN et les GSD/PHP permettra notamment, pendant toute la crise, de prodiguer des conseils utiles à la gestion de la crise dans les deux emprises diplomatiques et, réciproquement, d’avoir une connaissance précise de la situation complexe sur place. À Khartoum, les militaires de la gendarmerie doivent faire face à une arrivée progressive de ressortissants français à l’ambassade, à des coupures incessantes des réseaux électriques, d’eau et téléphoniques, mais aussi à une baisse drastique des vivres, sans possibilité de ravitaillement. Une course contre la montre s’engage alors. Bien qu’initialement la priorité portait sur un renforcement du poste à Khartoum par le GIGN, l’option d’évacuation des diplomates et des ressortissants français est retenue le 17 avril. Baptisée « Opération Sagittaire », elle est placée sous les ordres de l’État-major des armées (EMA).

Salle de crise du GIGN montrant plusieurs écrans sur le mur du fond et un grand tableau blanc à gauche . Des ordinateurs et des téléphones sont posés sur une table au centre. A gauche, le commandant du GIGN assis, téléphone en main, regarde les écrans. A droite, un autre personnel assis et un debout les regardent également.
© GIGN

J3 à J6 : bascule du centre de gravité à Djibouti

Mardi 18 avril, un détachement de 19 militaires du GIGN et des Forces spéciales (F.S.) est projeté par avion militaire (VAM / Voie Aérienne Militaire) au départ de la France en direction de Djibouti. Ce pays, situé à 1 500 km de Khartoum, où la France dispose d’une base militaire, servira de poste avancé pendant toute la crise : planification opérative, départ des VAM, accueil des ressortissants évacués du Soudan, etc. Pendant trois jours non-stop, les militaires du GIGN déployés à Djibouti vont, sous l’autorité des Armées françaises, participer à la planification de l’opération d’évacuation des ressortissants dans les moindres détails, en déclinant les grandes options arrêtées par les niveaux politiques (présidence de la République et ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) ou militaires (EMA et GIGN) ; le GIGN se concentrant sur les diplomates et les Armées sur les ressortissants français. À Versailles-Satory, le P.C. du GIGN reste activé H24, afin d’appuyer la manœuvre, notamment en matière de renseignement et de coordination. L’officier de liaison gendarmerie à l’EMA/CPCO (Centre de Planification et de Conduite des Opérations) est renforcé par un officier du GIGN ayant accès à l’ensemble des applications numériques spécifiques au Groupe, en mesure d’apporter ainsi de nombreux renseignements d’ordre tactique, mais à portée parfois stratégique.

Le défi majeur à relever pour les F.S. et le GIGN réside dans l’identification d’un moyen pouvant permettre de prendre pied à Khartoum. Trois options sont envisagées, toutes au départ de Djibouti :

- la première par voie routière, obligeant à traverser de nombreuses zones de forte insécurité ;

- la deuxième par VAM, avec un poser soit sur un aéroport civil (APOD 1), au centre-ville de Khartoum, à proximité de l’ambassade, mais également au cœur des conflits armés, imposant donc un accord préalable des FAS et RSF, d’autant qu’aucun avion n’est autorisé à survoler le territoire soudanais ; soit sur un aérodrome militaire (APOD 2), à 30 km au nord-ouest de la capitale, exclusivement tenu par les FAS ;

- enfin, la troisième option est celle d’une Opération aéroportée (OAP), prévoyant le parachutage à grande hauteur de militaires des F.S. et du GIGN (autonomes ou embarqués par des pilotes tandem). Une option extrêmement risquée, même si les PHP ont pu reconnaître au préalable une zone de poser potentielle pour les parachutages, à proximité immédiate de la résidence. Considérée comme une phase préparatoire à la deuxième option, pour sécuriser et tenir l’aérodrome, cette OAP est d’ailleurs envisagée dès le 17 avril. Il est donc décidé que le détachement de treize militaires du GIGN projeté au Soudan via Djibouti ne comprendrait que des chuteurs opérationnels et trois pilotes tandem.

Les Véhicules blindés (V.B.) sont rapidement identifiés par le GIGN comme pouvant s’avérer indispensables à la réussite de la mission. Le GIGN décide donc d’embarquer deux véhicules blindés dans la VAM au départ de la France, puis de s’appuyer également sur ceux de l’ambassade de Djibouti et, enfin, de récupérer le plus rapidement possible les véhicules déployés à Khartoum, dédiés à la sécurité de l’ambassadrice de France au Soudan.

Par ailleurs, le GIGN fait partie de nombreux réseaux européens et internationaux, dont le réseau Black Griffin, qui regroupe les unités de protection d’autorités dans les pays sensibles. Rapidement activé, celui-ci permet d’entrer en contact avec les membres des unités de protection d’ambassades, mais aussi de l’U.E. et de l’ONU, présentes à Khartoum et confrontées aux mêmes problématiques que la France. Il permet également d’obtenir de nombreux renseignements d’ordre tactique mais aussi stratégique, et d’envisager de récupérer tout ou partie de leurs véhicules blindés en cas d’évacuation de leurs emprises diplomatiques.

Photo montrant le véhicule blindé du GIGN vu de côté, portant plusieurs impacts de tirs sur les vitres. Sur la portière un drapeau français portant la mention French embassy. En arrière plan des personnes en civil.
© GIGN

J7 et J8 : engagement sur Khartoum

L’option 2, par VAM sur APOD 2, est retenue après des négociations diplomatiques et l’obtention de garanties de la part des FAS, offrant in fine la possibilité d’accéder à leur aérodrome.

Samedi 22 avril, de 18 h 30 à 22 h 00, après un travail conséquent de sécurisation de l’espace aérien par l’armée de l’Air française, quatre avions (trois A400M et un C130) atterrissent successivement à Khartoum, avec notamment à leur bord des F.S. des Armées et treize militaires du GIGN, ainsi que deux V.B. et deux représentants du MEAE/CDCS (Centre De Crise et de Soutien), dont l’officier de liaison gendarmerie.

À cette date, la situation devient critique à l’ambassade de France, retenue comme l’un des trois Points de regroupement (P.R.) pour les ressortissants français, qui y affluent en masse depuis de longues heures. Il s’agit dès lors pour les équipes mixtes GIGN/F.S. d’aller récupérer les ressortissants sur ces P.R. et de les escorter vers APOD 2, en franchissant de nombreux check-points des FAS et FSR. Les ressortissants sont embarqués dans des bus, avec le strict minimum de bagages.

Le premier convoi part d’APOD 2 le dimanche matin, à 2 h 15, et se rend à la résidence, notamment pour y récupérer les V.B. Tous les véhicules du GIGN ayant au préalable été équipés d’un dispositif de géolocalisation, les retours GPS des balises permettent de renseigner précisément les plus hautes autorités sur l’état d’avancement des évacuations de ressortissants, sur les positions des convois, voire sur d’éventuelles difficultés, etc.

À 8 h 40, un convoi, composé de F.S. et ouvert par cinq militaires du GIGN en V.B., est pris à partie par des tirs très nourris. Un militaire des F.S. est alors touché par balle et tombe violemment de son pick-up. Sous un déluge omnidirectionnel de projectiles perforant tous les véhicules du convoi, les militaires ripostent, tandis qu’un membre du GIGN récupère le blessé et l’embarque dans son V.B. Après une courte halte à l’ambassade d’Allemagne, celui-ci est transporté en V.B. au bloc chirurgical que les Armées ont monté sur APOD 2. La célérité et la qualité des réactions de ses camarades lui auront très probablement sauvé la vie.

En 24 heures, cinq missions d’escorte complexes auront été effectuées par le GIGN et les F.S., entre les P.R. et APOD 2. Depuis cet aérodrome, les ressortissants ainsi évacués sont rapatriés vers Djibouti par VAM, où ils sont pris en compte, entre autres, par les militaires de la gendarmerie en poste à Djibouti (attaché de sécurité intérieure, prévôts, etc.).

La France aura ainsi été la première nation à procéder à l’évacuation de ses ressortissants, ouvrant la voie à d’autres États. Au total, 500 ressortissants français et étrangers auront été évacués, dont les familles des GSD, qui auront vécu une semaine en enfer. L’opération Sagittaire peut être considérée comme un immense succès pour la France, et pour la gendarmerie en particulier.

La réussite de cette mission repose sur plusieurs facteurs, parmi lesquels : un prépositionnement efficace des GSD et des PHP au sein des emprises diplomatiques, qui auront fait preuve d’une abnégation, d’une efficacité et d’un courage remarquables ; l’insertion d’officiers de liaison au sein des organismes interministériels ; une coordination efficace entre les différents centres

de commandement au MEAE, à l’EMA/ CPCO, au GIGN et à Djibouti, s’appuyant sur des chaînes de décision rapides et robustes ; et enfin, une capacité de réaction immédiate du GIGN, intégrant tous ses moyens et expertises, en parfaite interopérabilité avec les Armées. Des capacités maintes fois éprouvées lors des missions quotidiennes, mais aussi par l’expérience des évacuations des ambassades d’Ukraine (2022), de Libye (2011, 2014 et 2019) ou encore de Côte d’Ivoire (2011).

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