Guyane : tête-à-tête avec le capitaine Sébastien, chef d’une antenne-GIGN pas comme les autres

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 16 septembre 2024, mis à jour le 16 septembre 2024

Affecté à l’Antenne du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) de  Guyane depuis 2019, le capitaine Sébastien a d’abord occupé le poste d’adjoint avant d’en prendre la tête l’été dernier. Focus sur une unité d’élite et sur son chef, confrontés aux maux de l’Amérique du sud. 

Mon capitaine, pouvez-vous présenter votre parcours ?

De 1995 à 1996, j’ai servi en Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) en tant que gendarme auxiliaire. Après ma réussite au concours de sous-officier de gendarmerie, j’ai intégré l’école de gendarmerie de Châtellerault en 1997. À l’issue, j’ai été affecté à l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) 22/5 d'Annecy jusqu’en 2011. Au cours de cette période, je me suis progressivement qualifié dans le domaine de l’intervention, en devenant Moniteur en intervention professionnelle (MIP) et en franchissement opérationnel (MFO). J’ai ensuite rejoint le Groupe de pelotons d'intervention (GPI, ancien nom des antennes-GIGN, NDLR) de la Réunion. Après l’obtention du grade d’adjudant-chef, j’ai réussi le concours d’Officier de gendarmerie rang (OGR). À l’issue de la scolarité, j’ai été affecté à la tête du troisième peloton porté de l’EGM 22/5 d’Annecy en 2016, avant de prendre le commandement du peloton d’intervention de cette même unité en 2017.

En 2019, j’ai rejoint l’AGIGN de  Guyane. J’y ai d’abord servi en tant qu’officier forêt et adjoint au commandant d’unité, avant d’en prendre la tête à l’été 2023.

Pouvez-vous présenter l’activité de l’unité ?

L’activité de l’AGIGN de  Guyane est fortement marquée par son implantation territoriale. La Guyane se situe au cœur de l’Amérique du sud. La délinquance est à la fois spécifique et élevée, avec un usage important des armes à feu. En 2023, la Guyane a connu 59 homicides et 650 vols à main armée, dont 450 par arme à feu. L’AGIGN de Guyane a réalisé 87 missions de police judiciaire, conduisant à l’interpellation de 66 individus, et 70 missions forêt. Au cours de l’année, nous avons été pris sous le feu à trois reprises, en mission forêt, lors d’une interpellation domiciliaire et dans le cadre d’une filature menée par le Groupe d’observation surveillance (GOS).

Pouvez-vous présenter l’organisation de votre unité ?

Nous sommes 47 à l’effectif. Je suis secondé par deux capitaines. Le premier est le référent intervention. Il prévoit et organise les instructions et coordonne les interventions menées sur le littoral, où sont situées les communes les plus importantes. La majorité d’entre-elles ont lieu dans des quartiers informels (bidonvilles, NDLR). Le second est le référent forêt. Il est en charge de la planification des missions de lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI) en coordination avec nos interlocuteurs (Centre de conduite des opérations, Forces armées en Guyane etc.)

Je suis également épaulé par un major en charge de la formation, de l’instruction et de la planification et par deux militaires du Corps de soutien technique et administratif (CSTAGN). L’unité est organisée en deux sections opérationnelles de 18 militaires. Chacune d’entre-elles est commandée par un capitaine. Ces sections travaillent en miroir par plage de deux semaines. Pendant que la première section assure la permanence opérationnelle, la seconde effectue des missions en forêt puis inversement. L’AGIGN comprend également un GOS, commandé par un major.

Pouvez-vous détailler les missions de l’AGIGN de Guyane ?

Comme toutes les Antennes-GIGN métropolitaines et ultra-marines, nous effectuons des missions traditionnelles de police judiciaire et de police administrative. Nous remplissons également des missions atypiques propres à la Guyane. Nous sommes ainsi fortement engagés dans la lutte contre l’orpaillage illégal. Nous effectuons des  déposes par hélicoptères dans le cadre de la mission Anaconda et des actions d’infiltration en forêt à pied. Nous ciblons les chantiers clandestins majeurs, les plots logistiques et les zones qui présentent une dangerosité avérée.

Nous effectuons aussi des opérations d’interception de pirogues logistiques dans le cadre de la mission Vives forces fleuve (V2F). Le déploiement récent d’un intercepteur ultra-rapide nous permettra de renforcer notre action dans ce domaine, notamment sur la bande littorale de la Guyane.

Notre expérience et notre technicité nous permettent d’encadrer le stage forêt auquel participent les gendarmes nouvellement détachés en mission Harpie.

Nous sommes également engagés dans le cadre de l’opération Titan visant à garantir la protection du Centre spatial guyanais (CSG). Nous assurons la sécurisation de la salle de contrôle Jupiter (en charge de la coordination générale des opérations de la base, NDLR) et nous engageons un à plusieurs VBRG (Véhicules blindés à roues de la gendarmerie, prochainement remplacés par les véhicules Centaure, NDLR) lorsque le lancement revêt une sensibilité particulière (risque de trouble à l’ordre public, d’intrusion etc.). Nous participons enfin à la Quick Response Force (QRF) visant à effectuer les levées de doute sur le site avec l’appui des hélicoptères Puma et des militaires de la SAED (les sections d’aide à l’engagement débarqué sont des unités spécialisées des Armées, NDLR).

La diversité de nos missions implique que nous nous entraînions sans relâche. Nous entretenons nos savoir-faire en intervention spécialisée, dans le domaine de l’hélicordage ou encore dans la conduite des quads et pirogues. À leur arrivée, les militaires nouvellement affectés à l’AGIGN de Guyane suivent un stage spécifique de trois semaines composé d’une période de formation aux missions forêt et de modules complémentaires. Afin de favoriser la diffusion des connaissances au sein de l’unité, nous avons créé un manuel de formateur en forêt équatoriale et un manuel piroguier. Je me suis lancé dans la rédaction d’un manuel portant sur la conduite des véhicules nautiques à moteur (VNM, servant notamment à la conduite des jet-skis utilisés dans le cadre des missions Vives forces fleuves) et dans celle d’un manuel de pilotage des quads.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’a changé pour vous la réorganisation du GIGN de 2021 ?

Le GIGN s’est profondément transformé en 2021. Les antennes lui ont été rattachées dans le cadre du GIGN 3.0. Cette évolution a constitué un véritable levier dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la formation, de la sélection des personnels ou encore de la coopération internationale. Les parcours en Intervention spécialisée (I.S.), notamment au sein des AGIGN, sont désormais plus cohérents. Il est possible d’effectuer toute une carrière dans cette spécialité et ainsi d’acquérir progressivement de l’expérience et de se bonifier avec le temps. Nous disposons de matériels plus nombreux et plus avancés, situation qui compense l’usure prématurée causée par le climat humide de la Guyane. Nous bénéficions également de la notoriété du GIGN, qui fête ses 50 ans d’existence cette année. Cette situation nous oblige. Elle induit un devoir d’exemplarité et nous conduit à rechercher l’excellence en permanence.

La Guyane est encadrée par plusieurs pays d’Amérique du sud. Quelles sont vos relations avec leurs polices ?

À l’ouest, se trouve le Suriname. Nous travaillons actuellement sur un projet visant à participer à la formation de la police de ce pays. Nous avons également des échanges réguliers avec les polices brésiliennes à l’est et notamment avec la Bope, groupe d'intervention d'élite de la police militaire de l'État de Rio de Janeiro. Cette unité forme des pisteurs capables d’identifier des traces et indices dans la jungle. Elle devrait prochainement partager cette compétence avec nous dans le cadre d’un stage commun. Pour ma part, j’ai aussi bénéficié d’une formation en Colombie. Celle-ci m’a permis de découvrir d’autres méthodes et de les mettre en perspective avec nos modes d’action. Plus généralement, l’AGIGN de  Guyane est confrontée à la barrière de la langue dans le cadre de ses missions. En forêt, les garimpeiros (orpailleurs clandestins, NDLR) sont quasiment tous originaires du Brésil. Nous avons donc besoin de gendarmes lusophones afin de pouvoir échanger avec eux et d’obtenir des renseignements utiles sur le terrain. Dans cette perspective, nous allons prochainement organiser des cours de portugais à destination des militaires de l’unité.

De quel type de profil l’AGIGN de Guyane a-t-elle besoin ?

Comme pour tout le GIGN, nous recherchons des gendarmes passionnés par le domaine de l’intervention et équilibrés sur le plan émotionnel. L’activité implique une forte disponibilité (amplitude et volume horaires conséquents). Il faut également être en mesure d’accepter l’éloignement familial et amical causé par une affectation ultra-marine. Nous recherchons également des personnes rustiques, résilientes et curieuses. Outre le spectre missionnel classique d’une AGIGN, comprenant les missions de police judiciaire et administrative, celui ou celle qui rejoint notre unité sera confronté aux missions forêt, qui sont atypiques. La jungle est une excellente école, dans laquelle nous mettons en application des modes d’action relevant du combat. Nous réalisons des missions d’approche, d’observation, d’exfiltration. Nous montons des embuscades et nous nous emparons de sites aurifères clandestins. Les militaires engagés en mission forêt sont fortement responsabilisés. Bien que le danger en jungle ne soit pas plus élevé que sur le littoral, un accident ou une erreur dans cet environnement peut rapidement s’avérer dramatique. Les communications téléphoniques étant particulièrement difficiles et les renforts ayant souvent besoin de plusieurs heures pour intervenir, l’esprit d’initiative et le sang froid sont primordiaux. Nos opérations sont nécessairement planifiées mais l’inattendu, les spécificités du terrain et celles de l’adversaire nous obligent à effectuer de la conduite en cours d’action en permanence. Nous nous adaptons sans cesse, ce qui nous rend meilleurs. Le gendarme qui a vécu une telle expérience en ressort grandi.

Pouvez-vous nous parler de votre avenir ?

Je suis arrivé à l’AGIGN de Guyane en même temps qu’Arnaud Blanc. J’aurais dû partir en 2024, mais j’ai demandé à être maintenu une année de plus. À l’issue, j’aimerais continuer à servir dans le domaine de l’intervention spécialisée, en commandant une autre AGIGN, de préférence en outre-mer.

 

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